Saturday, July 6, 2013

Nouvelles Parisiennes, Volume 1 Châtelet-Les Halles




Châtelet-Les Halles, Paris.

         Un étudiant fraîchement débarqué croit à tort être sur le point de réaliser son rêve parisien. Un homme, dont les souvenirs hantent les couloirs de la ligne 1, se voit transporté sans escale jusqu'aux rives du fleuve Congo. Rue de la Grande Truanderie, une vieille dame au passé insoupçonné cherche l'ultime dépositaire de sa mémoire. Un jazzman déchu aux gammes mélancoliques erre sur le boulevard Sébastopol, en quête d'un nouvel âge d'or.

       Parisiens de naissance ou d'adoption, ces personnages comme tant d'autres arpenteront les rues de la Ville-Lumière. Il s'imprégneront de ses lieux et s'arrêteront sur ses places, mais ne la façonneront que pour un temps, tandis qu'elle les inspirera à jamais.


          Ce recueil de nouvelles, premier volume d'une série, propose une image presque holographique de "Paname". Tels des projecteurs situés chacun à un angle précis, les nouvelles qui composent ce recueil offrent au lecteur une perspective originale d'un Paris moderne et authentique à travers ceux qui, par leur quotidien comme par leur génie, font à "deux lettres" près, comme le disait Jules Renard, de Paris un paradis.


EXTRAITS

Extrait de Jazzology 

            En cette fin d'après-midi, la nuit tombait et la station Étienne Marcel était sous la neige. À la faveur d'une accalmie, et malgré la rudesse de ce mois de février, Rick Moore était là, debout près de la colonne Morris, jouant de toute son âme l'Apex Blues de Jimmie Noone, ses doigts encore agiles parcourant sa Buffet Crampon, une clarinette vintage en bois de grenadille déverni par le temps. Son étui, ouvert à ses pieds et posé sur une cagette en bois, avait déjà reçu quelques pièces, un billet même, que Rick s'était empressé de glisser dans sa poche entre deux notes pour ne pas tenter les envieux. Mais la température eut bientôt raison de son enthousiasme. Son espoir de se voir à nouveau gratifié de quelques euros s'amenuisait peu à peu, de même que l'afflux des passants. Écourtant son dernier morceau par une pirouette jazzy de fin de service, il s'accroupit, démonta sa clarinette en quatre tours de poignet, récupéra ses quelques pièces de monnaie et mit son instrument au chaud. Ce soir-là, il avait rendez-vous au Thistle Club, un bar écossais où il avait ses habitudes. La neige, un temps fondue et noircie par les pas des passants, avait retrouvée toute sa pureté, enrichie qu'elle avait été par d'épais flocons venus conférer au quartier une sérénité presque céleste...


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Extrait de Vincent, 20 ans

            Vincent referma doucement la porte et réalisa qu'il était enfin chez lui. Il parcourut des yeux sa chambre de bonne, la banquette en fer forgé et la table de chevet en bois, l'œil de bœuf qui baignait le lieu d'une lueur velouté dans laquelle des particules de poussière tournoyaient, en suspension dans un air chargé de l'odeur boisée du vieux parquet sur lequel il avait posé son sac et quelques courses faites avant le rendez-vous. Il s'approcha de la vasque en porcelaine surplombée d'un vieux miroir tacheté dans lequel il se regarda longuement, comme pour s'assurer que tout ce qu'il vivait était bien réel. Sa chevelure noire bouclée, son visage encore juvénile, ses yeux marrons clairs... C'était bien lui. Il s'éloigna alors du miroir et s’assit sur la baquette, les yeux fixés sur le petit frigo rouillé coincé sous la partie basse du toit. Un sentiment partagé l'envahit alors, son euphorie étant peu à peu chassée par un cafard étrange. Cette nouvelle réalité - son départ de Bretagne, la solitude de son séjour dans un hôtel pas cher avec vue sur le périph', la découverte du métro et de la frénésie parisienne, les recherches de logement qui n'en finissaient pas et le risque de se retrouver à la rue à cause d'un budget qui se réduisait comme peau de chagrin...

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Extrait de L'homme-chenille  

           Cette tragédie avait marqué Thomas au fer rouge. Ses journées se résumaient à une lutte acharnée pour dompter sa hantise d'un nouvel «incident voyageur», pour limiter les crises d'angoisse qu'il faisait seul dans son poste de pilotage, loin des collègues, de la médecine du travail et de sa hiérarchie. Chaque arrivée de son métro à une station était devenue un calvaire. Il lui était souvent arrivé de freiner pour rien, croyant avoir vu quelqu'un sauter. Lui qui adorait son boulot en était venu à haïr les usagers imprudents, les ados qui s'amusaient à se pousser pour rigoler à l'arrivée du train, les skateboarders insouciants qui flirtaient avec la bordure du quai, les groupes de jeunes en sortie de boîte qui ne tenaient plus debout, les yeux mi-clos et une bière à la main, les mères assises qui discutaient sur les quais pendant que leurs gamins s'amusaient à faire la course sur la bande blanche. Mais le pire, la torture absolue, c'était les quais pleins à craquer aux heures de pointe ou les jours de grève. Certes, il connaissait toutes les procédures et avait appris par cœur toutes les configurations possibles d'accidents, mais il craignait d'avoir à nouveau à les appliquer. Il se sentait responsable de tous ces gens au point qu'il n'arrivait pas à se convaincre qu'un acte suicidaire ou qu'une chute malheureuse ne dépendaient absolument pas de lui. Thomas y voyait toujours, quoiqu'il arrive, une part de sa responsabilité. Il comparait souvent mentalement son métro à une chenille, et lui en était la tête. Comment déculpabiliser si un jour, cette créature en venait à engloutir à nouveau une vie? Comment se convaincre qu'il n'y était pour rien? Quand cesserait-elle de réclamer un tribut?

                     
 
Contact : gaspard.metskaia@gmail.com